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L’Agriculture soutenue par les citoyens est une alternative sûre et résiliente au modèle industriel au temps du Covid-19

Par le Réseau International URGENCI, le 8 Avril 2020.

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L’urgence planétaire dans laquelle nous sommes tous engagés pour limiter les pertes tragiques dues à l’épidémie du Covid-19 n’est qu’une répétition de la grande campagne qui s’annonce, pour préserver et construire des systèmes alimentaires locaux et territoriaux durables reliant les producteurs et les consommateurs et assurant une alimentation saine et nutritive pour tous. Nous en apprenons beaucoup sur les faiblesses et les lacunes du système mondial de distribution alimentaire.

Les populations découvrent qu’elles ne peuvent pas compter seulement sur des aliments devant être transportés par-delà les frontières ou même provenant de régions éloignées à l’intérieur d’un même pays. Les dirigeants des grandes exploitations agro-industrielles ne peuvent pas non plus compter sur la main-d’œuvre bon marché de travailleurs migrants comme ils l’ont fait par le passé. Dans certains pays, les fruits et légumes commencent à pourrir sur les champs. De nombreux marchés locaux ont été fermés. L’approvisionnement en articles de première nécessité dans les supermarchés disparaît rapidement à cause des mouvements de panique, mais aussi à cause de stratégies pour tirer profit de la situation. Dans des pays comme l’Inde, où les agriculteurs sont en confinement comme tout le reste de la population, les intermédiaires profitent de la crise pour acheter à bas prix aux agriculteurs et revendre à des prix élevés à ceux qui peuvent se permettre de payer.

Les ASC réagissent rapidement à la crise

Toutefois, les différents modèles d’Agriculture soutenue par les Citoyens1(ASC), que ce soit les Amap en France ou les CSA aux Etats-Unis, par exemple, réagissent rapidement et font face à la crise avec succès. Isa Álvarez, militante pour le droit à l’alimentation et Vice-présidente d’URGENCI, le Réseau international des ASC, décrit la situation au Pays basque espagnol :

« Le gouvernement a recommandé de fermer les marchés en plein air, mais les réseaux d’ASC fonctionnent plus que jamais. Le seul problème, c’est qu’en raison des restrictions à la mobilité, seuls les agriculteurs sont autorisés à faire les livraisons et qu’ils doivent les faire maison par maison. »

Nous sommes au seuil d’une crise alimentaire mondiale, non pas en raison du manque de nourriture, mais plutôt parce qu’elle ne peut pas être récoltée ou transportée jusqu’au consommateur dans un système alimentaire industriel nécessitant de nombreux intermédiaires. Il faudra à l’avenir privilégier les chaînes d’approvisionnement courtes et plus solides, favorisant la souveraineté alimentaire locale et la traçabilité.

Comme le dit Bregje Hamelynck, une maraîchère néerlandaise en ASC, « plus la source est proche, plus la relation entre l’agriculteur et le citoyen est forte, et plus l’approvisionnement alimentaire est sûr ».

Nous assistons également à une hausse rapide des prix de l’alimentation, ce qui rend difficile, pour les familles vulnérables, l’achat des aliments de base. Et contrairement à la crise alimentaire 2008, il n’y a pas de manque de nourriture. Juste une défaillance du système industriel. En revanche, les agriculteurs locaux de l’ASC s’adaptent rapidement pour approvisionner les populations locales en toute sécurité.

Comme le dit Ruby van der Wekken, du réseau finlandais des groupes en ASC, ceux-ci « ne sont pas seulement le moyen le plus sûr d’obtenir de la nourriture pendant cette période, ils font aussi partie de la solution pour un avenir plus sain ».
 La distribution de type ASC, en plein air, de produits pré-commandés et prépayés est l’un des moyens les plus sûrs de s’approvisionner, plus sûre que de faire ses courses dans des supermarchés sans aucun doute ! Il existe également de nombreuses nouvelles plateformes locales qui sont créées pour relier les producteurs et les consommateurs au niveau local.

« En Chine, au pic de la crise du Coronavirus, en Janvier, la demande a crû de 300% !» s’exclame Shi Yan, la pionnière du modèle ASC en Chine et la co-Présidente d’Urgenci. « Nos producteurs ont été sous pression pour répondre à la demande ».

De nombreuses initiatives de paniers de légumes sont des extensions de plateformes pré-existantes, avec une solide base éthique, comme les Amap en France et les coopératives alimentaires locales, mais d’autres sont plus opportunistes et en profitent pour doubler leurs tarifs. Des prix aussi élevés excluent clairement l’accès pour les groupes à faible pouvoir d’achat. Cela viole l’une des valeurs fondamentales de l’Agriculture Soutenue par les Citoyens et de l’économie solidaire : l’accessibilité pour tous à des produits frais tout en assurant aux producteurs un revenu décent.

Le modèle de distribution alimentaire le plus sûr

Dans le contexte de la pandémie actuelle, la distribution hebdomadaire des paniers d’Agriculture Soutenue par les Citoyens a été maintenue partout. Différents facteurs permettent la résilience de ce mode d’approvisionnement. D’abord, la sécurité du mode d’organisation et la réactivité des producteurs et des consommateurs qui veillent à ce que la distribution de paniers se fasse conformément aux nouvelles règlementations en termes de santé et de sécurité. Ensuite, les paniers sont préparés en amont de la distribution aux groupes. Cela réduit considérablement le contact humain avec les aliments et entre les personnes. Troisièmement, l’ASC est un partenariat local et solidaire, dont les distributions sont planifiées à l’avance. Il n’est pas nécessaire de s’attrouper, ni de faire la queue comme lors du passage en caisse dans un supermarché. Chaque groupe peut s’organiser de sorte que la collecte du panier soit échelonnée et qu’il n’y ait jamais plus d’une petite poignée de personnes présentes en même temps. De plus, il n’y a pas de transactions en espèces : tout est commandé et payé à l’avance ou en ligne. Les espèces (billets et pièces) étant un vecteur de transmission du virus, c’est un aspect important. La distribution est courte et immédiate. Cela réduit les interactions et le risque de contamination. Une distance sociale correcte est toujours observée. Toutes les recommandations sanitaires nécessaires – se laver les mains fréquemment, porter des masques et des gants lorsqu’on touche à la nourriture et rester à la maison lorsqu’on se sent malade – sont systématiquement observées. Enfin, si nécessaire, afin de protéger les personnes vulnérables, les aliments peuvent être livrés à votre porte. Il suffit de vérifier avec votre groupe local ce qui est mis en place. On voit actuellement une multiplications des partenariats entre producteurs et consommateurs du type ASC.

La coopération avec les autorités locales

Dans de nombreux cas, les réseaux nationaux et régionaux de l’ASC, réunis dans le réseau international URGENCI, travaillent en étroite collaboration avec leurs autorités locales. Selon Gaelle Bigler, présidente d’un réseau d’ASC suisse, « les membres ont dû changer toutes leurs pratiques, depuis leur système de livraison jusqu’à la gestion des bénévoles. C’est, à la fois, très compliqué mais en même temps très excitant, puisque que tout le monde semble réaliser que nous jouons un rôle important dans la fourniture d’aliments sains à la population des villes. Avec la fermeture des frontières, les très gros maraîchers ont eu des problèmes d’emploi puisqu’ils embauchent habituellement des travailleurs saisonniers étrangers et peu rémunérés, contrairement à nous, les groupes d’ASC, qui n’en employons pas. En tant que coordonnatrice du réseau, j’ai été contactée par plusieurs fonctionnaires qui voulaient dresser la liste de toutes les petites chaînes d’approvisionnement possibles. J’aimerais ajouter qu’ils nous connaissaient tous et nous ont remerciés pour notre travail ! »

Un autre aspect critique et encore négligé de la pandémie actuelle est celui du bien-être social et mental. En période de confinement généralisé, les gens sont de plus en plus isolés et il y aura certainement de nombreux effets d’entraînement liés aux crises sociales et économiques qui résulteront de cette pandémie. Selon Fatima Zohra Hocimi en Algérie « l’ASC permet aux gens de se connecter entre eux, de briser les frontières sociales et de servir une cause qui les dépasse. L’ASC avec la construction multidimensionnelle de la santé est l’avenir du bien-être des communautés ».

Beaucoup de réseaux d’ASC à travers le monde effectuent une veille d’informations et de consseils pour soutenir leurs membres, comme au Royaume-Uni (https://communitysupportedagriculture.org.uk/covid-19/) et en France (http://miramap.org/-COVID19-et-AMAP-toutes-les-infromations-.html). Ce sont des ressources précieuses qui permettent aux chaines d’approvisionnement locales de rester ouvertes.

En ce moment effrayant où nous avons tant besoin de solidarité et de compassion, mais alors que nous devons malgré tout rester séparés, l’Agriculture Soutenue par les Citoyens a un rôle essentiel à jouer pour nourrir les communautés locales en toute sécurité. Et alors que nous faisons face au changement climatique, les exploitations familiales pratiquant l’agroécologie paysanne fournissent la solution la plus sûre à la faim et à la malnutrition dans le monde. De plus, elles puisent dans le pouvoir de la photosynthèse pour réduire le carbone dans l’atmosphère en favorisant des sols plus sains, plus productifs pour nous nourrir tous.

Penser cette crise dans une vision à long terme

Nous devons continuer à penser cette crise dans une vision à long terme. Que se passera-t-il une fois que la pandémie sera maîtrisée ? Comment cela affectera-t-il la chaîne d’approvisionnement de type industriel et les systèmes alimentaires alternatifs ? Est-ce que la sensibilisation du public sera montée d’un cran et permettra à l’agriculture paysanne et familiale de devenir le pilier de nos systèmes alimentaires ?

Et les gains actuels en termes de réduction des gaz à effet de serre seront-ils convertis en une victoire durable dans la lutte contre les changements climatiques ? Nous savons tous que la relocalisation de nos systèmes alimentaires durables et de nombreuses autres formes de production peut jouer un rôle clé pour garantir que l’économie solidaire et la souveraineté alimentaire, deux des leviers clés pour la survie collective de l’humanité, deviennent la norme dans le monde entier.

Notre rôle est de contribuer à une approche fondée sur les droits humains (droit à l’alimentation, droits des paysans…etc.) qui vise à préserver les moyens de subsistance des producteurs et à faire en sorte que les consommateurs aient un accès continu à une alimentation saine et nutritive produite localement.

C’est la façon la plus efficace de contrer les mesures en faveur de l’agriculture de type industriel qui se généralisent à travers divers processus législatifs, à l’ONU comme dans l’UE. Notre rôle consiste à demander, à l’inverse, un soutien institutionnel accru pour les réseaux de l’ASC en cette période de crise, et à nous assurer qu’ils sont en mesure de répondre à l’explosion de la demande.

Il nous incombe de continuer à travailler avec nos alliés des autres mouvements sociaux pour veiller à ce que nos systèmes alimentaires ne nous laissent pas tous en plan. Notre rôle est de promouvoir l’agroécologie et la souveraineté alimentaire comme chemin vers des systèmes alimentaires démocratiques, par les citoyens et pour les citoyens.

1L’agriculture soutenue par les citoyens a été définie par la déclaration européenne d’Ostrava (2016) comme « un partenariat fondé sur des rapports humains directs entre des consommateurs et un ou plusieurs producteur(s), où les risques, responsabilités et bénéfices du travail agricole sont partagés dans le cadre d’un engagement mutuel sur le long terme ». Le modèle français de l’ASC est l’Amap, Association pour le maintien d’une Agriculture paysanne. En Suisse, c’est l’ACP, Agriculture contractuelle de proximité, et en Belgique ce sont les Gasap, Groupes d’achat solidaire de l’Agriculture paysanne. Dans les pays anglo-saxons, on parle plus volontiers des CSA, Community Supported Agriculture. Le texte de la Déclaration européenne est disponible sur le site d’Urgenci: https://urgenci.net/french/declaration-europeenne-des-csa/